Depuis quelques jours, ou quelques semaines, je prends une claque à chaque mauvaise nouvelle liée à ce marché. Et comme c’est une période de rentrée, je me dis que c’est le moment de faire un état de lieux à date. Mais une question essentielle me taraude : Le crowdlending est-il mort né en France ?
Des volumes insuffisants
Le marché du crowdlending « Entreprise » a été multiplié par 3 en 2016 par rapport à la même période de 2015. Ceci représente une croissance importante mais rappelons que le marché à permis de financer … 46 M€ en 8 mois … Une goutte d’eau sur le marché plus global du financement des entreprises, évalué entre 80 et 100 milliards par an !
Par ailleurs les plateformes françaises aiment se comparer au marché anglais. On comprend aisément pourquoi quand on sait que les plateformes UK ont connu une croissance exponentielle au cours des 4 dernières années pour atteindre plusieurs milliards de financements par an. Sauf que pour la 1ère fois depuis la naissance du P2P lending en Angleterre, le montant financé a subi une baisse au 2ème trimestre 2016. Un peu tôt pour en tirer les conclusions mais il convient de le rappeler !
Le seuil de rentabilité des plateformes est estimé à 100 M€ de financements par an et elles sont à ce jour une quinzaine à se battre sur ce marché. Pour faire simple, afin d’assurer leur survie, le marché devrait représenter 1,5 Milliard d’euros en considérant qu’elles soient toutes de la même taille …
On peut donc légitimement se demander comment elles vont encore pouvoir tenir quelques mois ou quelques années ? A coup de levée de fonds bien sûr ! La dernière en date est d’ailleurs très récente puisque Unilend a annoncé cette semaine avoir levé 2,5 millions d’euros auprès du fonds fintech NewAlpha.
Il est évident que toutes les plateformes ne pourront pas intéresser les investisseurs et nous devons donc nous attendre à la mort de plusieurs plateformes dans quelques mois ! Espérons que ça puisse se passer aussi bien que la reprise de Finsquare par Lendix.
Des taux de défaut qui explosent !
Depuis que j’écris sur ce blog, je dis que l’un des facteurs clé de succès de ce nouveau mode de financement sera la bonne sélectivité des dossiers et la gestion des risques. Même si à mon sens, on manque encore d’antériorité pour annoncer un taux de défaut moyen »réel » du marché, on peut noter l’accélération des incidents de paiement au cours des derniers mois.
A titre d’exemple, Unilend connait un taux de défaut (en nombre de dossiers) de plus de 10 %, Lendopolis de plus de 5 % et dans sa lettre aux prêteurs, Lendix évoque 29 projets (sur 109) Finsquare ayant fait – à un moment ou à un autre – l’objet d’un incident de paiement. Ouch !
Rappelons que ceux qui pâtissent de ses taux de défauts affolants sont les prêteurs particuliers, les plateformes n’étant touchées qu’indirectement. Et sans cette « foule », le crowd … lending n’existe pas !
Manque de transparence = Perte de confiance
Il est utile de rappeler le manque de transparence dont ont fait preuve certaines plateformes à l’étranger. Citons le cas de Lending Club qui depuis la révocation de son patron emblématique a du mal à remonter la pente ou celui de trustbuddy, qui a fermé rapidement suite à une fraude interne. Sans parler d’une arnaque gigantesque en Chine qui s’est soldée par un système de Ponzi coûtant 8 milliards de $ aux épargnants.
J’ai peur de décevoir ceux qui se croyaient à l’abri en France en leur annonçant que nous aussi, nous connaissons quelques « arnaques ».
Dernièrement une plateforme inscrite à l’ORIAS a par exemple fait l’objet d’un article dans Capital car elle mettait en ligne de faux projets et garantissait des rentabilités aux particuliers (ce qui est impossible). Cette plateforme a été dénoncée et pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, elle est toujours en ligne. (ça nous amène au point suivant : Que font les organes de tutelle ?)
Pas plus tard qu’hier, nous, anciens prêteurs de Finsquare (dont je fais partie), recevions un courriel de la part de Lendix. Nous apprenons sur celui-ci que les équipes de Finsquare avaient camouflé 7 projets en défaut de paiement ! Comment ? en remboursant les prêteurs sur leurs fonds propres. Même si les prêteurs n’ont subi aucun préjudice (ayant été remboursés) et qu’on se doutait que plusieurs plateformes agissaient en ce sens, on peut être outré par cette situation qui montre encore une fois le manque de transparence de certaines plateformes.
La conséquence directe est évidemment la perte de confiance des investisseurs.
Que font les organes de tutelle ?
Pour une fois que nous sommes en avance sur quelque chose, nous pouvons êtres fiers d’avoir un marché du crowdfunding réglementé dès son origine. Maintenant il s’agirait de le contrôler !
En effet, nous avons 3 magnifiques organes de tutelles du nom d’ORIAS, ACPR et AMF qui sont chargés de contrôler le marché (agrément des plateformes, respect de la réglementation, …). Malgré celà, j’ai le sentiment – je suis peut-être le seul 😉 – que les contrôles sont proches du néant. Alors comme j’ai réalisé certaines de leurs tâches par le passé, je vais les aider en leur donnant quelques pistes :-):-)
- Faire en sorte que Netfinancement.com ne soit plus en ligne
- Contrôler les pages statistiques : elles s’apercevront que certaines plateformes ne respectent même pas la réglementation, qui est pourtant légère à ce sujet. Cf une étude sur les pages Statistiques des plateformes.
- Imposer un mode de calcul du taux de défaut applicable à toutes les plateformes. C’est normalement le cas mais ce n’est pas appliqué. Cf liste des défauts de paiement à fin juin.
- Imposer des règles en matière de recouvrement. On se rend bien compte et ce n’est pas nouveau, que la réactivité et le suivi sont efficaces pour récupérer l’argent des prêteurs
- … A elles de contrôler d’autres points, elles sont plus compétentes que moi 😉
Un peu d’optimisme …
Nombreux sont ceux qui savent que je crois en ce marché et en ce mode de financement. Je trouve judicieux de rapprocher les entreprises avec les particuliers (ou les institutionnels) qui souhaitent participer à l’économie réelle. Mais pas à n’importe quel prix !
Au delà des mauvaises nouvelles, le marché grandit, des institutionnels de renom s’y intéressent (fonds prêtons ensemble par exemple) et certaines plateformes (pas toutes malheureusement) font preuve de transparence et de professionnalisme. J’ai déjà cité Lendix – il faut avoir des c…… pour envoyer un tel mail aux prêteurs – mais j’aimerais aussi évoquer Lendopolis qui a fait preuve d’une grande transparence alors que la plateforme a subi une arnaque. J’espère que les autres, en cas de coup dur, sauront aussi faire preuve de professionnalisme et assumeront leur responsabilité … Celles-là resteront !
En conclusion et sans être démago, j’invite les plateformes, les organes de tutelle, mais surtout les particuliers, par leurs choix, à faire en sorte que ce marché grandisse dans de bonnes conditions, ce sera bénéfique pour tout le monde, peut-être même pour l’économie 😉 et je m’excuse par avance auprès de ceux qui n’apprécieront pas le ton de cet article, pourtant volontaire, et je me tiens à leur disposition pour en discuter.
Une réponse à “Le crowdlending est-il mort né en France ?”
le ptit vannetais
Le crowdlending est encore très récent. Les acteurs: plateformes, prêteurs ou institutionnels sont encore en quête des « règles du jeu » qui permettront que chaque partie y trouve son compte et qu’alors le marché soit pérenne.
Dans cette quête, chacun apporte ses solutions, plus ou moins efficaces, intéressées ou objectives.
Les organes publics fixent le cadre et gardent un oeil sur l’évolution du marché.
Les prêteurs se regroupent, échangent, recensent les défauts.
Les plateformes rivalisent d’ingéniosité pour étendre le marché (crowdbuilding), donner des garanties (assurances) ou minimiser leurs défauts (statistiques « maison », prise en charge sur fond propre de défauts).
Dans ce bras de fer tripartite qui s’est engagé, certains acteurs jouent leur propre intérêt plus que d’autres et pourtant aucun ne nie que seule la convergence des intérêts de chaque partie peut permettre la croissance du marché.
Mathieu
Le ptit vannetais,
Bien résumé !
GAZET
Le crowdlending a de l’avenir si les acteurs reviennent à des principes simples:
-un particulier n’est pas un analyste financier donc il faut que les plateformes éliminent les emprunteurs qui n’ont aucune chance de rembourser
-une foule de particulier exprime une sensibilité qui a une certaine valeur pour pondérer une grille de taux standard ( un site de voyance plaira plus ou moins qu’une entreprise de BTP)
-Le législateur a au travers de la loi Macron ( je crois) reconnu le caractère risqué du crowdlending et a accordé une déductibilité fiscale sur les pertes en capital.
Tout les gadgets inventés par les plateformes pour se différencier de leurs concurrents nous font perdre notre temps.
SmartWatch
C’est une excellente analyse.
Je crois aussi que seul 1 ou 2 acteurs survivront.
Je partage aussi mon incompréhension totale à voir qu’aucune autorité de tutelle ne vérifie rien :
– que ce soit les statistiques de défaut (cf l’excellent article de @Mathieu sur le sujet et notamment sur les stats Unilend) totalement bidonnés sur certains sites
– des systèmes plus que limite qui permettent au pauvre épargnant de se faire plumer sans douleur (Autolend … tiens encore Unilend! ). D’ailleurs, ça va rendre encore plus tentant de bidonner les notes en étoiles juste pour faire en sorte qu’un plus grand nombre de prêteurs mettent « automatiquement » de l’argent à l’aveugle (et donc qu’un projet soit financé + vite / à un meilleur taux). Là encore, qui contrôle le bien fondé de ces mécanismes qui seraient totalement interdits sur d’autres marchés ? Pas vu, pas pris….
Le crowdlending n’est pas mort né car il n’est pas encore né en France. Et il y a de grandes chances qu’un scandale à venir ternisse durablement sa réputation si les autorités de tutelle ne font rien pour controler SERIEUSEMENT ce marché. Car les plateformes (douteuses ou peu fiables) ne feront rien, les particuliers sont impuissants (on a un super forum avec plus de 20 pages sur les impayés d’Unilend et pourtant, ça ne suffit pas) car en plus il n’ y a pas de class action en France.
Le seul espoir vient de l’ACPR mais comme tu le dis le marché est trop petit pour qu’ils y fassent attention. Comme souvent en France on attendra l’accident. La question n’est pas SI il arrivera mais QUAND ….
beret berthelot
C’est une excellente Analyse.
A mon humble avis, ne cherchons pas dans les autorités de tutelles la solution.
Quel que soit le gendarme ou son nombre, il y aura toujours des voleurs !
Passé les phases d’implosions, consolidations, les Fintech devront nécessairement basculer vers une structuration économique et logistique tripartite:
Commercialiser, Scorer, Recouvrer.
L’ordre étant inversement proportionnel à l’importance, non pour des raisons de Chiffre d’Affaire, mais afin de conserver leurs réputations et ainsi pérenniser leur business model.
*Finteriser* : Scoring et Recouvrement
En effet, actuellement la Fintech n’utilise pas l’ensemble de son matériel génétique.
L’Euphorie commerciale et financière du modèle l’en exonère d’ailleurs à ce stade !
Très prochainement, afin de pérenniser leur modèle économique il leur faudra néanmoins faire fonctionner l’organisme Fintech dans le respect du Génome C.S.R (Commercialiser, Scorer, Recouvrer).
Gerard
Mon impression : le business du crowdlending est formidable: faire croire qu’il n’y a plus d’intermediation mais facturer des frais superieurs a ceux des banque a l’emprunteur, puis mettre les agents economiques les moins informes possibles face a des projets non finances par des banques traditionnelles. Incitation de la plateforme: faire grossir le portefeuille de prets le plus possible, en incluant evidement beaucoup de fruits pourris. Les preteurs sont les dindons qui portent le risque. Pour que jeu puisse continuer assez longtemps, les plateformes dissimulent les defauts ou font des compensations extraordinaires. Est-ce-que mon impression est fausse?
Mathieu
@Gerard
Même si ce marché n’est pas encore parfait, et il ne le sera certainement jamais, certaines plateformes font correctement leur travail de sélection de projets ou encore de recouvrement. On peut donc investir mais il faut être prudent et bien choisir sa ou ses plateformes.
Arnaud
Oui il y a des plateformes très professionnelles mais il y a aussi sur le marché quelques moutons noirs qui prennent tous les projets pour percevoir leur commission, ce sont les voleurs mentionnés plus haut.
Les gendarmes (ACPR et AMF) n’ont pas encore contrôlé la plupart de ces acteurs mais ils le feront. Leurs contrôles ne porteront pas que sur les points mentionnés par SmartWatch. Pour l’ACPR et l’AMF, le sujet de la protection de la clientèle et sa bonne information sont vraiment des points d’attention. A titre d’information, l’intervention d’hier de l’ACPR et l’AMF sur les FinTech se trouve avec ce lien :
https://acpr.banque-france.fr/etudes/discours-et-interventions/conferences-de-lacpr.html